LE VOYAGE PAR L'IMAGE

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MAROC : Marrakech N° 7 - Les souks - La place Djemaa-el-Fna (suite....)

 

Dans les souks que nous traversions avec une lenteur calculée, des vendeurs qui gardaient des boutiques aussi profondes et larges que des couloirs hélaient amicalement notre guide.

 

En marchand, notre guide mentionnait que les souks s’ordonnaient en métiers.
D’après lui, il fallait accepter de se perdre par hasard dans le souk el Haddadine (des forgerons) où les dinandiers frappent inlassablement le métal chaud pour sculpter les objets usuels de la vie quotidienne (plateaux, cendriers, lanternes, grilles de fer forgé, serrures ou clés). Le fer forgé par exemple connaît un regain d’intérêt depuis ces dernières années.

 

Il affirmait que dans le souk des bijoutiers et des orfèvres, Marocains et touristes pouvaient admirer l’or du Maroc qui a une couleur plus rosée que les autres, car ses alliages sont différents. Il nous rappela que les bijoux accompagnaient les Marocains dans les moments les plus importants de leur vie.

 

Il nous recommanda de passer par le souk Chouari, des vanniers et des tourneurs de bois. C’est avec des fibres de palmier nain que se tressaient les paniers.


Pour les photographes et les peintres, il nous suggéra de passer voir les écheveaux de laine et de soie pendus au soleil qui déterminaient la proximité des souks des teinturiers.

 


En plaisantant, il nous montra ses babouches finement décorées, en insistant sur le fait que pour avoir les mêmes, il fallait se rendre au souk Smata, des babouches en cuir. D’autant que, d’après lui, la maroquinerie serait originaire du Maroc.

 

 

Il se désola de ne pas avoir le temps de nous décrire tous les souks qu’il connaissait, car devant l’herboristerie nous attendaient deux employés ceints de tabliers clairs.

 

 

 

 

 


Malgré l’étroitesse de la pièce, encombrée de pots, de boîtes, d’herbes séchées, nous trouvâmes chacun une place pour nous asseoir.

 

 

 

Intérieur de l’herboristerie

 

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Une fois les identités déclinées, l’herboriste nous offrit un massage destiné à tester l’efficacité d’une crème. Encouragée par mes amis lyonnais, je me prêtai de bonne grâce à l’expérience.


Sur mes épaules dénudées, un jeune commis appliqua un produit qui me parut froid comparé aux 40 degrés qui sévissaient depuis quelques jours à Marrakech.


Il entama une série de mouvements circulaires pour faire pénétrer la crème. Rapidement, la béatitude ressentie, s’inscrivit sur mon visage libérant les rires de mes compagnons de voyage, déclenchant leur fièvre acheteuse et par voie de conséquence l’ouverture de leur portefeuille. Encore aujourd’hui, je suis incapable d’affirmer si c’est le produit ou le massage qui m’ont fait cet effet !


Enchanté par une collaboration qui lui évitait une fastidieuse argumentation, l’herboriste m’offrit un rouge hydratant dont la couleur changeait selon la texture des lèvres. Ce rouge à lèvres me fut très utile notamment en hiver quand le vent cingle les lèvres humides.


Mon cadeau à la main, suivie par le couple de Lyonnais, nous laissâmes nos compagnons s’emparer de l’herboriste et entamer des négociations qui n’étaient excitantes que pour ceux qui les commençaient.
 
Notre guide assis sur un escabeau, face à l’échoppe, devisait avec d’autres boutiquiers, tout en sirotant un thé à la menthe, s’amusa de notre désintérêt affiché pour ces marchandages.

 

 

Nous formulâmes le souhait de découvrir seuls, les souks et surtout à notre rythme. Nullement étonné par notre requête, il nous confirma que l’herboristerie annonçait la fin de sa prestation en tant que guide.

 

 

Il nous suggéra de partir à la découverte des caravansérails encore en bon état. Ces vastes cours, entourées de bâtiments où autrefois les caravanes y faisaient halte, abritaient souvent une population cosmopolite en quête de logements.

 

 

Caravansérails

 

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Grâce à ses précisions, nous les dénichèrent aisément dans le dédale inextricable des rues.

Cependant, malgré la présence de son époux, ma compagne lyonnaise transpirait d’angoisse à la vue des individus aux mines patibulaires qui sortaient des pièces situées au rez-de-chaussée ou qui nous contemplaient depuis les balustrades de bois des étages supérieurs.


Les objets hétéroclites entassés ou transformés pour des usages de la vie quotidienne, les chiens faméliques et sales, les enfants qui sautaient sur des tas de détritus nauséabonds nous engageaient ni à photographier ni à demeurer trop longtemps dans des lieux qui nous inspiraient plus d’inquiétude que de confiance.


Son époux nous refoula en direction des souks, aussi peu rassuré que nous. Ce qu’il nous confirma d’ailleurs quelques mètres plus loin. Il convint que l’étrangeté de cet endroit avait précipité sa fuite. Nous étions tous les trois d’accord que, sans aucune raison, nous avions éprouvé le sentiment d’un danger imminent. C’était totalement irrationnel, mais justifié par le fait que cet endroit aurait pu s’appeler « la Cour des Miracles » et non un caravansérail.
 
C’est avec soulagement que nous avons retrouvé la cohue et le brouhaha des souks. Nous avons erré dans ce labyrinthe impressionnant et avons retrouvé les souks que nous avions précédemment traversés avec notre guide : souks des bijoutiers, articles de cuir, babouches, tapis, céramiques, parfums, fruits secs, épices, textiles.

 

 

Souk des ferronniers

 

 

 

Pour nous perdre enfin dans celui des fers forgés où à même le sol, des enfants aussi noirs ou gris que les fers qu’ils travaillaient baissaient la tête, gênés et parfois furieux d’être regardés. Étonnés de ne rencontrer aucun touriste dans ces ruelles étroites, nous décidâmes de revenir sur nos pas.

 

Parfois, mes amis lyonnais pénétraient dans un bazar pour apprécier de plus près l’artisanat marocain. Devant un objet convoité, il leur arrivait d’entamer des tractations sur le prix à payer, car dans les souks à cette époque, les articles étaient dépourvus d’étiquettes.


J’observais la scène. J’écoutais les discussions et notais que discuter les prix n’était pas l’exercice que mes Lyonnais maîtrisaient le mieux, comme moi d’ailleurs.


Un malentendu s’installait assez rapidement entre eux et les commerçants. Ils refusaient les prix arrêtés, sortaient de la boutique, persuadés interrompre la négociation alors que pour les vendeurs, le fait de refuser représentait le début d’une entente.


Autour de moi s’empressaient les vendeurs. Ils avaient tous un article d’exception à me soumettre et une tasse de thé à la menthe à m’offrir. Je n’avais aucun problème à décliner leurs avances, car je ne sais pas et n’aime pas négocier.

 

 

Intérieur des souks

 

 

 

En 2002, mon expérience dans ce domaine se limitait aux souks du Sud tunisien et à ceux d’Izmir en Turquie. Ils avaient eu l’avantage de me démontrer mon incapacité à me soumettre à cette tradition pratiquée dans de nombreux pays.

 

 

 

Place Djemaa-el-Fna

 

 

 

 

Par le plus grand des hasards, à la sortie des souks, nous croisâmes notre gentil guide. Il avait terminé sa journée de travail et s’acheminait vers la place Djemaa-el-Fna.


Nous l’invitâmes à se joindre à nous. Confus, mais ravi, il consentit, mais en déclarant toutefois qu’il voulait nous dévoiler quelques attractions singulières, mais réputées la place Djemaa-el-Fna.

 

 

À défaut de nous montrer quelques saltimbanques, montreurs de singes, arracheurs de dents et autres amuseurs éparpillés sur les bords de la place, il s’arrêta d’abord devant une table ou une trentaine de dentiers se bousculaient dans l’espoir d’être remarqués par d’éventuels acheteurs. Les salutations d’usage échangées avec le vendeur, notre gentil guide nous enseigna qu’un dentier trouve toujours la bouche qui lui est destinée. Il nous avoua que cependant les dentiers devaient s’armer de patience avant de trouver la bonne bouche. Certains Marocains sont tellement pauvres qu’ils n’envisagent même pas d’aller chez le dentiste. Leur reste la solution d’acheter un dentier ou bien de se résigner à supporter une bouche sans dents.

Plus loin, notre gentil guide héla un charmeur de serpents. Il nous raconta que cet homme sans âge dénichait ses serpents dans le Sud marocain et qu’il avait un don pour les rendre inoffensifs. Il ajouta que de nombreux serpents étaient capturés par les Aïssaoua, une confrérie religieuse montant au XVIe siècle. Toujours d’après lui, cette attraction risquerait à l’avenir de disparaître, car elle se trouverait menacée par l’intervention de certaines associations qui accusent les charmeurs de serpents de maltraitance animale.


L’homme se proposait de nous les enrouler autour du cou. Apeurés, mes deux Lyonnais s’écartèrent de l’emplacement.


Je me souviens que je me suis approchée sans réfléchir. Je n’aime pas les serpents, mais dans ce cas précis, je n’ai éprouvé ni peur ni répulsion. L’homme m’a passé le serpent autour du cou, l’a laissé glisser sur ma blouse puis l’a repris avant qu’il ne descende sur mes chaussures.


J’ai lu dans le regard de mes amis lyonnais que pour eux cette expérience avait duré une éternité.

 

 

Pour nous distraire, notre gentil guide nous guida vers les conteurs du lieu qui d’après lui étaient également menacés. D’une vingtaine dans les années 1970, à peine une dizaine resterait encore en activité. L’arrivée de la télévision et la modification de l’auditoire auraient contribué à leur disparition. Grâce à des alliés comme l’écrivain espagnol Juan Goytisolo, le place Djemaa el-Fna a pu être inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO depuis 2001, une façon de conserver cette oralité.

 

Il nous rappela aussi que la confrérie des Gnanouas, ces musiciens reconnaissables à quelques instruments de musique : tambourins, sorte de luth à trois cordes et parfois utilisation de castagnettes métalliques, descendants d’esclaves africains, seraient également inquiétés.

 

 

À distance du centre de la place, nous nous retrouvâmes devant les charrettes aux peintures éclatantes, qui proposaient à la dégustation de superbes oranges du pays.

 

 

 

 

 

 

 

 

 Place Djemaa-el-Fna

 

 

 

 

 

Devant nous, la place commençait à s’animer. Les restaurateurs qui avaient déployé leurs stands à partir de 16 h avaient terminé, l’installation des tréteaux, bancs, planches, braseros.

 

Avec délicatesse, la nuit avala la couleur orangée du ciel puis étendit son drap sombre sur les stands signalés par des lampions. Colorés, ils invitaient chaque passant à participer à la grande fête qui se dévoilait sous leurs yeux.

 

En même temps que les tambours vibrant à l’unisson, les appels des flûtes et les odeurs de grillade, surgissaient de partout des gens qui se croisaient, se parlaient, s’interpelaient, se heurtaient, s’arrêtaient, s’empoignaient, s’agitaient, s’embrassaient ou s’ignoraient.


Les calèches, les charrettes dépassaient les vélos. Les cyclomoteurs doublaient les voitures. Les voitures évitaient les bus. Les bus s’arrêtaient n’importe où.


Quant aux piétons, ils essayaient d’éviter ces obstacles pour rejoindre une place qui, en quelques secondes, grouillait d’individus de nationalité, de sexe, de professions tous différents.


Pendant que notre guide désignait à ma compagne lyonnaise, les jeunes mendiants tancés par la police marocaine, les femmes à l’affut d’une main à tatouer au henné ou encore, un guérisseur déguisé en Touareg, son époux me suggérait d’inviter le jeune homme à dîner avec nous, sur la place. J’opinai discrètement de la tête. Consulté, notre gentil guide insista pour en choisir l’endroit.

Brandissant notre accord comme un étendard et sans se soucier de sa petite taille, il plongea dans la foule compacte nous contraignant à allonger le pas pour ne pas le perdre. Plus grands que moi, mes amis lyonnais identifiaient toujours sa djellaba grise au milieu des autres quand il s’évanouissait dans la cohue.
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Nous le localisèrent enfin, un genou posé sur le banc d’un stand, conversant avec un Marocain aussi grand et gros qu’il était petit et mince. Devant moi se jouait un film de Laurel et Hardy, mais version Marrakech !


D’un signe de la main, notre guide nous engagea à le rejoindre.

Les odeurs de grillades qui nous chatouillaient les narines ouvraient notre appétit.

Devant nous, le patron criait les commandes à deux jeunes hommes qui plaçaient et surveillaient les brochettes sur des grils qui avaient depuis longtemps oublié leur couleur d’origine. Trop occupée à suivre le spectacle, je n’eus pas le temps de voir arriver, commandé par notre guide, un couscous à la viande de bœuf et aux légumes, étalé dans une poterie sans ornement. Ce plat souvent servi le vendredi aurait été introduit par les Berbères, toujours d’après notre gentil guide. Ses ingrédients seraient tous servis ensemble contrairement aux versions algériennes et tunisiennes.
 


Je me souviens avoir éprouvé une euphorie intense.
Je me souviens avoir regardé le ciel étoilé.
Je me souviens avoir respiré ces fumets de poissons, de grillades mélangés.
Je me souviens avoir écouté ce brouhaha permanent.
Je me souviens avoir regardé ces gens avec lesquels je n’avais rien de commun.
Je me souviens avoir pris conscience que j’étais à MARRAKECH et loin de tout ce qui constituait mon quotidien !
Je me souviens de l’intensité de ce bonheur presque douloureux. Un peu comme comme quand on prend conscience d’être vivant.


 
Je me souviens encore aujourd’hui et c’est cela qui est étrange, déroutant !


Se souvenir avec une telle acuité devient une expérience pour celui qui la vit, impossible à traduire, à transmettre et à faire partager.

Notre guide qui devait enchaîner le lendemain de nouvelles excursions auxquelles nous ne participions pas et donc se lever tôt, nous présenta sa joue, les yeux étincelants de malice. Émus, nous lui claquèrent des baisers sonores puis le raccompagnèrent jusqu’à sa voiture à la couleur incertaine et aux formes qui n’évoquaient aucune des marques que nous connaissions.

Dans le petit taxi jaune qui nous ramenait à notre hôtel, nous avons énuméré toutes les marques qui pouvaient se rapprocher de l’état informe de son véhicule. Le chauffeur a dû se demander à quoi jouaient ces clients français à une heure aussi tardive !

 

 

 

 

 



17/03/2012
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